Comme un petit air d’autoroute

[Cet article est quasiment entièrement féminisé car le masculin ne devrait pas toujours l’emporter sur le féminin !]

L’autostoppeuse est une espèce rare, on le sait.
Mais l’autostoppeuse sur une aire d’autoroute est un cas encore un peu plus particulier que nous allons étudier…

Pour parcourir une longue distance sans y passer la nuit… mieux vaut emprunter l’autoroute, la bien-nommée « voie rapide ».
Et puisqu’il est tout à fait illégal, fortement déconseillé, plutôt inutile et -surtout- extrêmement dangereux de se trouver à pieds sur la bande d’arrêt d’urgence d’une autoroute, intéressons-nous aux autostoppeuses sur les aires d’autoroute.

Tout un chacun utilise l’aire de repos pour satisfaire ses besoins primaires : aller aux toilettes, boire, manger, se dégourdir les jambes… Au-delà de ça, rien de bien intéressant, à part, si on a de la chance, un beau paysage à contempler. Mais peu de monde s’attarde sur une aire d’autoroute. Il s’agit bel et bien d’un non-lieu (1), au sens anthropologique du terme : « un espace qui ne peut se définir ni comme identitaire, ni comme relationnel, ni comme historique » selon Marc Augé, inventeur de ce néologisme.

Mais du point de vue de l’autostoppeuse, à l’inverse, une aire d’autoroute s’apparente précisément à un lieu :
1) en effet, elle a choisi de se faire déposer sur cette aire d’autoroute par stratégie, oui oui. Pour elle, ce lieu garantit à coup sûr le passage de conductrices qui se rendent assez loin pour l’avancer jusqu’à sa prochaine étape.

2) elle s’approprie l’aire, des toilettes au parking en passant par la station-service. Elle crée des relations, interagit avec les conductrices, demande à être emmenée vers telle ou telle destination. Cela contribue à sortir les personnes de leur anonymat alors qu’elles ne font toutes que passer !

3) dans une démarche active de stop, l’autostoppeuse déambulera entre les voitures à la recherche de sa future conductrice, et dans une démarche passive, elle se placera plutôt au bout de l’aire, attendant le moment où les voitures reprennent la route. Dans les deux cas, on peut aisément reconnaître l’identité propre d’une autostoppeuse, simplement par ses déplacements ou sa position sur l’aire.

4) enfin, le groupe social que constitue les autostoppeuses construit des références communes à ces endroits. Par le biais des souvenirs, des récits et, physiquement, des témoignages écrits déposés sur les panneaux ou glissières à la sortie des aires. Souvent la date et les noms des voyageuses, parfois des mots un petit peu plus étayés ou bien une trace sous la forme d’autocollants.

Concernant le rapport à l’aire, les différences sont donc totales entre la conductrice et l’autostoppeuse.
La première n’avait pas forcément prévu d’y faire étape (un téléphone qui sonne, un réservoir à remplir), elle entretient exclusivement avec l’aire une relation de consommation, et elle va au plus vite et ne s’y attarde jamais.
En revanche, l’autostoppeuse choisit d’y entrer, elle quitte une voiture et donc clôt une relation sociale puis cherche à en ouvrir une nouvelle, et -point non négligeable- le temps qu’elle passera à cet endroit ne dépend pas seulement d’elle !

L’autostoppeur, comme le philosophe, et plus encore peut-être que le nomade, est ce tourbillon qui est toujours là où on l’attend le moins. » (2)

* * *

3 expériences personnelles en guise de seconde partie :

Ma plus courte expérience sur une aire : sur l’aire de Meillac juste après avoir quitté Bordeaux pour Nantes, avec Anouk. Nous venions à peine d’être déposées ici lorsqu’un couple nous questionna sur notre destination et nous embarqua… Renversant !

Ma plus longue expérience sur une aire : il y en a plusieurs… Mais mon étape sur l’aire des Volcans d’Auvergne est la plus récente et a tout de même duré 4 heures début février, le temps d’assister à un grand défilé de vacanciers, d’acheter une paire de gants qui me faisait cruellement défaut et de voir finalement s’arrêter une voiture qui me déposera devant ma porte, 379 kilomètres plus loin.

Ma première nuit sur une aire : partir de Tours à 15h pour atteindre Marseille, c’est être assuré qu’on ne verra pas le coucher de soleil sur le Vieux Port ! Déposé sur l’aire du Roussillon au sud de Lyon à 22h, j’ai donc opté pour le plantage de tente immédiat. Reposant n’est pas le mot, mais le souvenir existe à présent.

 

Et pour vous, quelles sont les aires de déjà vues ?

* * *

Sources :
(1) Non-lieux, introduction à une anthropologie de la surmodernité, La Librairie du XXe siècle, Seuil, de Marc Augé
(2) Tôt ou tard, politique de l’auto-stop (éd. Pontcerq) d’Hervé Décaudin et Fabien Revard

2 réflexions sur “Comme un petit air d’autoroute

  1. Quand on sillonne beaucoup les routes et que les trajets sont récurrents, on finit par connaître par cœur les plus imposantes comme l’aire de Poitou-Charentes (A10) ou l’aire de Garonne (A62). Mais plus étonnant, on remarque qu’on s’arrête aussi, sans le vouloir, toujours aux mêmes « petites aires ». Ça m’a donné l’occasion d’observer et de philosopher pendant mes déplacements professionnels 🙂

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